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28 janvier 2013, Bibliothèque de l'Universidad de Granada

 

En me baladant l'autre jour, j'ai papoté avec un artiste de rue. Il m'a un peu éclairée sur les raisons de la célébrité de l'Alhambra et de l'Andalousie en général. J'ai complété cette discussion par quelques recherches. Une conclusion s'impose : le rêve de l'Alhambra ne date pas d'hier mais prend corps dès le XIXe siècle sous l'influence de deux mouvements artistiques majeurs: le romantisme et l'orientalisme. 

 

Un rapide bilan sur le romantisme, pour commencer :

 

Apparu dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle, le romantisme, héritier du Sturm und Drang allemand (tempête et passion), s'oppose au rationalisme des Lumières. Il remplace le culte de la raison par celui des sentiments, véhiculant ainsi des images volontairement subjectives. 

 

Le romantisme entretient un rapport particulier avec l'Histoire. Grands nostalgiques, les romantiques pleurent un passé glorieux et révolu. Mûs par leur goût prononcé pour le pittoresque, ils cherchent à restituer artistiquement une certaine couleur locale, voire une identité territoriale, souvent plus fantasmée qu'authentique. Ils voient dans l'Alhambra les ruines du faste de l'Espagne médiévale, les maigres restes d'une Al-Andalus éclatante. Voici ce qu'en écrit Noël-Marie Paymal Lerebours dans les années 1840 :

 

« Mais ce séjour de merveilles, entouré de tous côtés par la barbarie, au milieu de laquelle il brillait comme son phare de civilisation, fut bientôt sillonné et ravagé par ses flots, et le palais des rois maures, ce chef-d’œuvre de douce poésie, fut sa première victime. »

(N.-M. PAYMAL LEREBOURS, Excursions daguerriennes : vues et monuments les plus remarquables du globe, Lavigne, Paris, 1840-1843)

 

Dans sa composition pour guitare, Recuerdos de la Alhambra (Souvenirs de l'Alhambra, 1896), l'Espagnol Francisco Tarrega illustre ces pleurs sur un mode mineur paré de trémolos mélancoliques. 

 

L'Alhambra devient ainsi le symbole d'une Espagne musulmane légendaire, qui invite au voyage et à la rêverie. Cette représentation perdure aujourd'hui. En témoigne l'album de la Canadienne Loreena McKennitt, paru en 2006, Nights from the Alhambra.

 

Et voici ce que j'ai noté sur l'orientalisme :

 

A la soif de voyage et de rêverie amorcée par le romantisme s'associe une sensibilité "orientaliste". Celle-ci dépasse le cadre des disciplines artistiques et concerne également les connaissances scientifiques.

 

Les orientalistes se passionnent pour les civilisations de l'Islam. L'opulence, la lumière, les paysages, la faune, les légendes et le mode de vie du Moyen-Orient médiéval sont un objet de fascination. L'Alhambra, témoin occidental des éclats de "l'Orient", joue alors le rôle particulier de passeur. Beaucoup se rendent à Grenade dans l'espoir d'y percevoir la quintessence de l'exotisme. Voici d'ailleurs ce qu'en écrit Hugo dans ses Orientales :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toutefois, l'image de l'Andalousie est bouleversée en 1875 par la première représentation de Carmen à l'Opéra-Comique de Paris. Si Mérimée (l'auteur de la nouvelle) avait visité l'Espagne à plusieurs reprises, Bizet (le compositeur) n'y avait jamais mis un pied. Cela n'empêche pas l'imaginaire de Carmen d'être universellement partagé. C'est pourquoi, quand en 1923 le parolier Ernest Dumont décide d'écrire Dans les jardins de l'Alhambra, il emploie les formules suivantes :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De typiquement musulmane, l'Alhambra devient typiquement andalouse. Mais qu'elle soit l'une ou l'autre, l'Alhambra fascine et, j’espère, fascinera toujours.

« L'Alhambra ! L'Alhambra ! Palais que les Génies

Ont doré comme un rêve et rempli d'harmonies,

Forteresse aux créneaux festonnés et croulants,

Où l'on entend la nuit de magiques syllabes,

Quand la lune, à travers les mille arceaux arabes,

Sème les murs de trèfles blancs »

(V. HUGO, Les Orientales, 1829)

L’architecture mauresque de l'Alhambra devient le décor privilégié des librettistes et compositeurs d'opéra et de ballet. Ainsi, en 1833, Eugène Scribe et Filippo Taglioni créent La Révolte au Sérail, ballet en trois actes reprenant une thématique récurrente des peintures orientalistes : les scènes de harem.

« Loin des tangos, des fandangos, des boléros,
Bien tendrement penchée au bras d'un hidalgo,
La belle gitane
Danseuse profane,
Se prend à son tour
Au piège d'amour 

Les jolis soirs dans les jardins de l'Alhambra.
Les soirs très lourds dans le parfum des mimosas.
Les soirs joyeux ou l'on est deux, les soirs d'amour
Ou l'on jure d'aimer toujours, toujours !

Toréadors et picadors des corridas,
 Manolitas, filles jolies de la Plazza,
Une rose aux lèvres,
Un regard de fièvre,
C'est l'Espagne entière,
Amoureuse et fière ! »

 (L. BENECH et E. DUMONT, Dans les jardins de l'Alhambra, 1923)

Gérôme et Benjamin Constant, illustration pour Les Orientales de Victor Hugo, 1882.

Source : BNF

P. L. C. Ciceri, esquisse de décor pour La Révolte au Sérail, 1833

Source : BNF

Affiche Carmen

Source

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter et écouter : 

  • I. et Y. ANSEL, Le romantisme, Paris, Ellipses, 2000, 141 pages.

  • L. BENECH et E. DUMONT, Dans les jardins de l'Alhambra, BNF, Disque, 1923.

  • D. DELPECHIN, R. DIEDEREN, L'orientalisme en Europe de Delacroix à Kandinsky, Paris, Hazan, 2010, 311 pages

  • E. W. SAID, L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident, Paris, Seuil, 1978, 392 pages.

L'ALHAMBRA des artistes

L'Alhambra des artistes - Amélia Forestier
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