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20 janvier 2013, Auberge de jeunesse

 

Comme il pleut ces derniers temps, j'ai plongé mon nez dans des recueils de poésie trouvés à la boutique de l'Alhambra. Je me suis essayée à en faire cette petite synthèse :

 

Au-delà de leur beauté, les jardins de l'Alhambra sont l'aboutissement d'un contexte culturel et historique qui leur donne sens. En Andalousie, l'érudition arabe et la science qui en résultait s'unirent pour matérialiser une longue tradition. Les plantations luxuriantes obtenues par une maîtrise savante des procédés d'irrigation visèrent ainsi à faire de l'Alhambra le « paradis des paradis ».

 

Le prototype du jardin en Islam demeure l'espace inaugural, le « jardin de la première tentation ». Le vocable de loin le plus fréquemment employé par le Coran pour le désigner est ganna, utilisé 142 fois. La quasi totalité de ces occurrences renvoient au jardin du paradis. D'autres expressions sont à relever comme « le parterre fleuri» (rawda) ou « la demeure du Salut » (dar al-salam), récompense de ceux qui font le bien sur terre. En voici un exemple :

 

« Quant à ceux qui croient et qui s'adonnent aux bonnes oeuvres, nous les ferons entrer dans les jardins, sous lesquels coulent des fleuves, pour qu'ils y restent éternellement ; pour eux, il y aura des compagnes purifiées et je les ferai entrer sous les ombrages abondants .»

(Coran, S IV, V 57)

 

Ainsi, la forte connotation religieuse et symbolique du jardin en a fait l'un des thèmes les plus récurrents de toute la littérature romanesque et poétique du monde arabe. On le retrouve, par exemple dans les Mille et Une Nuits :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La symbolique du jardin est cependant double. Dans sa dimension « édénique » il est aussi source inépuisable de métaphores secrètes sur la sensualité du corps féminin, ultime image terrestre de la félicité promise dans l'au-delà. C'est ce dont témoigne la littérature de l'époque.

 

En poésie, le rawdiyyat, poème centré sur le thème du jardin, est un genre ancien. Il connut son plein essor en Orient aux IXe et Xe siècles ap. J.-C, sous la plume d'illustres poètes tels al-Buhturi (821-897), Ibn ar-Rumi (832-896) ou Sanawbari (m. en 945). La nature, cadre de vie de tous les Andalous qui l'ont admirée et parcourue, suscite là-bas un intérêt plus vif encore. Si les poètes andalous ne se distinguent pas de leurs prédécesseurs orientaux par les idées, ils innovent par le recours à des mots plus expressifs ou des métaphores plus évocatrices. Les fleurs seront un autre de leurs thèmes préférés. L'Andalousie devient alors terre d'accueil pour les nawriyyat ou “poèmes floraux », bientôt aussi nombreux que les rawdiyyat. Bien des poètes andalous se sont d'ailleurs illustrés dans les deux genres. Ibn Zaydūn (1003-1070), Ibn al-Zaqqāq (1094?-1133?) et Ibn Zumruk (1333-1394) sont de ceux-là.

 

On remarquera aussi Ibn Khafādja, dit le « poète paysagiste » (1058-1139), auteur de ces quelques vers:

فَالرَّوْضُ مُهْـتَزُّ المَعَاطِفِ نِعْمَةً نَشْوَانُ تَعْطِفُه الصبا فَيمِيلُ

رَيَّانُ فَضَّضَهُ النَّدَى ثُمَّ انْجَلَى عَنْهُ فَذَهَّـبَ صَفْحَتَيْهِ أَصِيلُ

« Le jardin secouait ses flancs de bonheur et, grisé, il se courbait et s'inclinait sous le vent d'Est.

Abondamment abreuvé car la rosée l'avait argenté et s'était dissipée ; puis le soir est venu dorer ses joues.»

(H. HADJADJI, Ibn Khafādja, l'amant des jardins de l'Andalousie : sa vie, sa poésie, Albouraq, 2006)

فَكَأنَّهَـا وَ كَأنَّ جَدْوَلَ مَائِهـَا

حَسْنَاءُ شُدَّ بِخَصْرِهـَا زُنَّارُ

« L'arbre me rappelait une femme, très belle,

Corps enserré dans la ceinture du ruisseau. »

(Ibn Khafādja tiré de : H. HADJADJI et A. MIQUEL, Ibn Khafadja l'Andalou, L'amant de la nature, El-Ouns, Paris , 2002)

« Quand Ibrahim vit ce jardin il eut l’impression de voir le Paradis »

 

(Al-anna, « Le Conte de Ibrahim et Gamila », Alf layla wa-layla (Les Mille et Une Nuits), Dar al-kutub al-‘ilmiyya, vol. 2, Beyrouth)

 

Cette dimension religieuse se retrouve aussi dans le passage suivant :

 

"Quel bonheur que le vôtre, Ô gens d'Andalousie ! Ces ombrages riants, ces cours d'eau assoupis, ces rivières, ces frondaisons, des lieux bénis ramènent le jardin d'Eden en nos contrées"

(Le Chant d'al-Andalus : une anthologie de la poésie arabe d'Espagne, dir. Hoa Hoï Vuong et Patrick Mégarbané, 2010)

Illustrations des Mille et Une Nuits par Léon Carré en 1926

 

Le chant d'al-Andalus - Samia Majid
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L'Alhambra des poètes

L'Alhambra des poètes - Amélia Forestier
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   Pour en savoir plus, vous pouvez consulter : 

  • E. WEBER, "Les jardins dans la tradition arabe et Les Mille et Une Nuits", Hommages à M.J. Rubiera, Alicante, 1994-95

  • M. SERRANO MANES, "Grenade reconquise, Grenade trahie? L'imaginaire français et la recréation d'espaces-temps historiques", in " VII Coloquio APFUE (Asociación de Profesores de Francés de la Universidad Española) ", Cádiz, 11-13/02/1998, Vol. 1, 2000

  • R. GHANEM AZAR, Romantisme français et culture hispanique: contribution à l'étude des lettres françaises dans la première moitié du siècle, thèse de doctorat en littérature, Sorbonne 3, 2009

  • H. HADJADJI, Ibn Khafādja, l'amateur des jardins de l'Andalousie : sa vie, sa poèsie, Albouraq, 2006

  • H. HADJADJI et A. MIQUEL, Ibn Khafadja l'Andalou, L'amant de la nature, Paris, El-Ouns, 2002

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